Et si l’écologie passait par de nouveaux récits ?

Le 15/04/2025
5 min

Construire de nouveaux récits pour imposer le sujet de l’écologie : voilà ce qu’appellent de leurs vœux de nombreuses personnalités, de la coprésidente du groupe 1 du Giec Valérie Masson-Delmotte à la militante Camille Etienne en passant par le scientifique Pierre Gilbert. Mais concrètement, qu’est-ce qu’un nouveau récit ? En guise de définition, Magali Payen propose un exemple : celui de la théorie du donut, une métaphore pâtissière pour symboliser le plafond des limites planétaires, et le plancher des besoins humains. Sous ses airs inoffensifs, ce schéma remet profondément en question les récits dominants, du business as usual d’après-guerre au récent techno-solutionnisme. « Nous avons vécu une algorithmisation de la pensée, résume le musicien et entrepreneur Olivier Covo. On tourne en rond sur des idées comme  » je consomme, donc je suis ”, qui sont des récits de l’hyperconsumérisme, alors que nous disposons d’un capital de “ réel fertile ” qu’il nous suffit d’activer. » Magali Payen, spécialiste des nouveaux imaginaires, abonde : « Il y a un énorme enjeu chez les industries créatives et culturelles pour nous faire désirer, pour nous montrer à quoi pourrait ressembler une société plus sobre… On entend beaucoup ce mot, sobriété. Ça hérisse le poil, ça fait peur alors que je pense qu’il y a beaucoup de choses intéressantes autour du concept des nouvelles abondances. »

Changer de focale 

Une fois identifiés les récits dominants… comment s’en défaire ? Pour les trois intervenants, la réponse est unanime : il est urgent de changer de focale. « Avec Imagine 2050, on a accompagné les scénaristes de Plus belle la vie. Ils voulaient écrire un épisode sur un blackout et leur réflexe, c’était d’imaginer des scènes de chaos, de guerre civile. Alors on leur a apporté des histoires vraies, inspirantes et on leur a montré qu’un blackout, ça pouvait aussi créer de la solidarité, de l’entraide. C’est ce qu’on a nourri dans le scénario. » Au-delà des idées, le médium importe aussi : chez Mangroove Music, Olivier accompagne l’émergence de nouveaux récits sonores, « qui stimulent l’imaginaire via un registre émotionnel ». Pour lui, le son et la musique, plus que n’importe quel rapport scientifique, peuvent pousser à l’action et au changement. « Il y a plusieurs niveaux de narrations dans la musique : le son, le texte, les harmonies musicales, et ce tout permet de rendre visible l’invisible. Par le sensible, on va planter le réel dans le cœur des gens, et on va shunter le mental, les pousser à réagir. Le son a des impacts physiques et cognitifs, il génère des réponses affectives. En ce moment, on travaille avec Paul Watson, un artiste de rap et des scientifiques. On va avoir des niveaux de narration différents. »

Briser l’opposition long terme / court terme

L’enjeu des nouveaux récits ne s’arrête pas à la porte des entreprises. Là-bas encore plus qu’ailleurs, les focales changent pour reconsidérer les liens entre business et écologie. « On a tendance à dire que l’entreprise représente le court terme et l’écologie le long terme », analyse Camille Richard, qui a travaillé par le passé avec le secteur municipal, le secteur agro-alimentaire, « mais en réalité, le but de l’entreprise, c’est d’être pérenne. Et on observe aujourd’hui des corrélations entre des gouvernances robustes qui intègrent les enjeux sociaux et environnementaux et une réussite économique ». Avant d’être directrice de l’impact chez Alter Equity, Camille était chargée de la démarche développement durable chez Back Market. « L’idée de Back Market, c’était d’aller combattre ces imaginaires directement sur le terrain des grands méchants de la Big Tech, avec l’idée de rendre la seconde main sexy. Et ça a marché. » Même si aujourd’hui seuls 20 % des clients de Back Market se tournent vers la marque pour les valeurs qu’elle véhicule, l’entreprise, qui n’a jamais rétropédalé sur ses engagements, fête aujourd’hui ses 10 ans avec 30 millions d’appareils vendus à 15 millions de clients dans 18 pays en Europe.

Tectonique des plaques 

Quand la société bouge, les entreprises suivent. Car comme le rappelle Olivier Covo, « une entreprise, au fond, c’est une communauté humaine ». « Tous les blocs sont liés, abonde Magali Payen. Le bloc citoyen, le bloc culturel-médiatique, le bloc économique et industriel et le bloc politique sont tous liés : quand il y en a un qui bouge, les autres bougent aussi. » Non seulement les acteurs business emboîtent le pas des acteurs culturels, mais elles sont aussi animées de l’intérieur, au gré des engagements de leurs salariés. « Une entreprise honnête et en accord avec ses valeurs qui essaie de construire un récit écologique arrive à attirer les meilleurs talents, confirme Camille Richard. J’ai eu la chance de travailler avec des personnes extrêmement brillantes, qui m’ont énormément appris car ils croyaient dans ce récit et dans ces nouveaux imaginaires sur les sujets environnementaux. »

Et Magali Payen de finir sur une note optimiste : « On a beaucoup plus de pouvoir que ce que l’on imagine. Les victoires sont à portée de main, à condition qu’on s’organise et qu’on crée des coalitions de manière innovante. Même si ça peut faire peur. Il faut être en mesure d’accueillir ces peurs et être capable de les réguler. Il faut se laisser guider par la joie, elle nous aide à savoir où on va et si on est bon, aussi bien dans nos actions que dans nos projections futures. » Alors, tous en joie – en entreprise et en dehors – et en avant vers de meilleurs horizons !

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