Mathieu Baudin (directeur de l’Institut des Futurs souhaitables) : “Le développement durable est un terreau fertile pour tout réinventer”

Le 01/04/2025
7 min

Et si l’avenir n’était pas une fatalité, mais un terrain de jeu à inventer ? À l’heure où les crises s’enchaînent et où l’incertitude domine, Mathieu Baudin, directeur de l’Institut des Futurs souhaitables, invite à un changement de regard. Son credo : anticiper autrement, cultiver l’optimisme et réhabiliter l’imaginaire pour bâtir des futurs désirables. Rencontre avec un prospectiviste qui préfère l’action aux prédictions.

Big média : Quels sont les principaux signes d’obsolescence du monde actuel ?  
Mathieu Baudin : Nous sentons qu’il y aura des changements. À l’Institut des Futurs souhaitables, nous parlons du monde d’après, car rien de ce qui existe actuellement ne peut perdurer en l’état. Pourquoi ? Parce que ce système a été conçu pour 450 millions d’individus en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord durant les Trente Glorieuses, un très bon système après le chaos de la guerre, conçu pour une partie de la l’humanité. Si nous essayons d’utiliser ce système, très gourmand en énergie, pour 9 milliards d’individus sans multiplier les ressources nécessaires, cela n’est, tout simplement, pas possible. 

BM : Selon vous, quelles grandes mutations seraient nécessaires ?  
MB : Nos sociétés vont être obligées de changer de modèle économique, comme nous l’avons fait à travers le temps. Par exemple, lors de la révolution industrielle, nous sommes passés de la force de l’esclavage à celle de la machine. Aujourd’hui, le monde économique résiste, comme il l’a fait lors de la Révolution française avec l’abolition de l’esclavage. Nous devons maintenant dépasser à un modèle économique non productiviste, non extractif, non carboné et illimité, bien conscient que les ressources de la planète, elles, ne sont pas infinies.

BM : Quels sont les grands défis environnementaux auxquels les entreprises devront faire face d’ici 2030 ? 
MB : Les entreprises seront traversées par des questions énergétiques et de ressources, aussi bien physiques que sociales. Elles devront s’adapter et se réinventer. Demain n’est pas seulement du neuf, c’est aussi retrouver des habitudes que nous avions autrefois. Tel l’automne de notre humanité, il faudra laisser passer ce qui est dépassé et peut-être retrouver du sens en allant vers l’essentiel. 

« Le développement durable est devenu un substrat sur lequel il faut tout réinventer, si nous ne voulons pas aller vers un futur dystopique »

BM : Avez-vous observé une évolution de la perception du développement durable ? 
MB : Depuis la Renaissance, nous avons segmenté : les êtres humains d’un côté et la nature de l’autre. La biologie a montré que nous étions intrinsèquement vivant. Le développement durable est devenu un substrat sur lequel il faut tout réinventer, si nous ne voulons pas aller vers un futur dystopique. Ce n’est pas un sujet en soi, mais un point de départ pour repenser tout ce que nous faisons. Ce n’est pas du militantisme, mais une question de survie et d’intelligence humaine pour vivre ensemble, avec la biosphère.  
 
BM : Le développement durable est-il encore une contrainte ou devient-il un moteur essentiel d’innovation et de compétitivité pour les entreprises ? 
MB : Je pense que le développement durable est une contrainte créative. Il doit être la base sur laquelle nous réinventons. Cette contrainte peut être un propulseur pour aller plus haut et plus loin. Aujourd’hui, la responsabilité est devenue fractale : il y a moi, les autres et la planète. La solution est de travailler ensemble pour un destin commun équilibré. Nous perdons des certitudes, ce qui est effrayant, mais nous sommes en chemin pour évoluer, et c’est ce qui est intéressant. 

« Il est urgent de prendre le temps de savoir où nous voulons aller, ce qui est contre-intuitif dans un monde qui s’accélère »

BM : Quels sont les premiers pas concrets qu’un entrepreneur peut mettre en place pour intégrer le développement durable dans son entreprise ? 
MB : Il est urgent de prendre le temps de savoir où nous voulons aller, ce qui est contre-intuitif dans un monde qui s’accélère. En agissant ainsi, nous esquissons un horizon, qui est un des éléments essentiels de la prospective. Ensuite, vous activez les leviers, il est important d’expérimenter et de voir ce qui plaît. Après la phase introspective du “comprendre” et la phase de “curiosité”, il faut agir au plus près du réel pour alimenter l’expérience collective.
 
BM : Quels secteurs offrent les meilleures opportunités d’innovation et de création d’entreprise liées à la transition écologique ? 
MB : Tous les secteurs offrent des opportunités d’innovation et de création liées à la transition écologique, à condition d’adopter une attitude de compréhension, d’exploration et d’expérimentation. Aujourd’hui, il y a peu de secteurs qui peuvent se passer de la transition écologique, bien que certains continuent à fonctionner à son détriment et au nôtre. Pour ma part, j’ai toujours parié sur les individus, c’est pourquoi je n’ai pas de réponses claires sur les secteurs. J’ai vu des conspiratrices et des conspirateurs positifs partout, dans les médias, l’industrie, l’agriculture, l’éducation. Beaucoup de personnes de bonne volonté sont expérimentées et généreuses, partageant leur histoire et leurs ressources. Je pense que l’innovation et la transition peuvent se faire au sein de n’importe quelle structure. C’est une question d’attitude et d’état d’esprit.
 
BM : En quoi l’innovation sociale et environnementale peut-elle être un levier de différenciation pour une startup ? 

MB : En prônant l’innovation sociale et environnementale, on attire les talents qui nous permettront de vivre plutôt que de survivre. Ceux qui veulent donner leur puissance à autre chose qu’à un monde qu’ils hypothèquent, ceux qui ne veulent plus donner leur puissance à l’aliénation du monde, ceux qui prennent le temps de se situer, de comprendre où ils peuvent œuvrer, puis qui allouent leur énergie à une cause qui a du sens pour eux et et pour le monde.
 
BM : Selon vous, à quoi ressemblera l’entreprise de demain ?

MB : Selon moi, il y aura autant de modèles que de personnes pour les penser. Nous sortirons d’une vision unique, occidentale et anglo-saxonne pour tendre vers plus de diversité culturelle. Ailleurs, d’autres modèles fonctionnent, mais nous n’y avions pas accès à cause de notre vision hégémonique. Les entreprises de demain auront en commun le souci du soin, de la responsabilité et du bien-être mutuel. Le management sera réinventé, plus horizontal et organique. Les périodes de raréfaction favorisent la collaboration plus que la compétition. Si nous apprenons cela dans nos écoles de commerce, cela pourrait changer la donne. L’entreprise ne servira plus seulement à faire de l’argent mais à contribuer au bien commun, car l’État ne pourra plus tout faire en la matière. Elle consacrera une partie de son activité à des causes plus grandes qu’elle-même. L’entreprise s’insérera dans le bien commun et sera un lieu où les gens s’épanouiront tout en créant de la richesse, qui ne sera plus uniquement que financière.

Retrouvez Mathieu Baudin sur Jour E 2025, le 2 avril au Palais Rameau de Lille 

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