Mangroove Music, le label qui rend l’écologie fun et abordable grâce à la musique

Le 21/03/2025
9 min

Compositeur percussionniste, directeur marketing chez Apple, dirigeant de Sound Value, un centre d’étude et de recherche sur l’impact du son, ou encore administrateur de théâtre sur l’île de Gorée (Sénégal), Olivier Covo en est certainement à sa cinquième ou sixième vie. Entrepreneur dans l’âme, il a eu l’idée de fonder Mangroove Music en 2020, le tout premier label musical à impact positif, social et environnemental. Parmi les artistes engagés à ses côtés, on dénombre quelques pointures du secteur comme Youssoupha, Fakear, Zazie ou encore DeLaurentis. Rencontre avec un homme de convictions.
 
Big média : Quelle est la genèse de Mangroove Music ?
Olivier Covo : Mangroove Music est née de la volonté d’utiliser le pouvoir de la musique, qui est un langage de l’émotion, universel et compris par tous, pour éveiller les consciences et engager les gens à agir en faveur de la planète. C’est une idée qui m’est venue lorsque je méditais dans une mangrove au Brésil. Je suis musicien et je me sens également très proche de la nature donc ce label, que j’appelle plutôt fabrique éditoriale, me permet de combiner les deux. Lorsqu’on a une vision, qu’on l’incarne et qu’on a envie de le faire, il ne faut surtout pas se limiter.
 
BM : Quelle est votre approche ?
OC : Elle est basée sur le fait de savoir comment, via la musique, on incite les citoyens à passer à l’action. Notre modèle repose donc sur trois piliers : les océans, les forêts et la biodiversité. We Are The Ocean, We Are The Forest et We Are The Earth nous permettent de lancer des campagnes de mobilisation citoyenne. Nous travaillons par exemple actuellement dans l’agenda de la convention mondiale des océans des Nations Unies (UNOC 2025) pour laquelle nous souhaitons créer du contenu (documentaire, podcast…) qui puisse éveiller les consciences d’un maximum d’individus.

« Les textes et les récits qui sortent sur Mangroove Music doivent être incarnés par une réalité terrain »

 
BM : DeLaurentis, Youssoupha, Fakear, Zazie… De nombreux artistes sont engagés à vos côtés. Comment se passe votre collaboration concrètement ?
OC : Lorsque nous allons voir un artiste pour le convaincre de s’associer à notre cause, nous ne lui promettons pas monts et merveilles, car nous sommes une petite structure. Cependant nous travaillons avec eux pour comprendre ce qu’ils ont en eux et comment nous pouvons l’utiliser pour créer quelque chose de cohérent qui embarquera les gens derrière. Les artistes étant des pourvoyeurs de nouveaux récits, nous nous battons pour qu’ils puissent faire ressentir le monde grâce à leur art.
 
BM : Et comment vous vous y prenez pour embarquer des artistes dans l’aventure ?
OC : J’aime faire coopérer les mondes. Si on prend le domaine de l’activisme par exemple, ils sont à mon sens trop souvent enfermés entre eux alors qu’ils devraient s’ouvrir et coopérer avec des secteurs différents partageant les mêmes convictions. Notre moteur chez Mangroove Music est de faire collaborer les artistes, les scientifiques, les change maker, les activistes, les artivistes… en créant de petites résidences. Lorsqu’un musicien ou chanteur travaille sur un projet, nous le nourrissons avec des points de vue très différents, lui faisons vivre une aventure ou une expérience immersive. Les textes et les récits qui sortent doivent être incarnés par une réalité et ceci grâce à des gens qui travaillent sur le terrain, c’est la grande différence avec le storytelling. Nos collaborations sont avant tout axées sur l’humain, le partage et l’envie. Finalement, le talent c’est d’avoir envie comme disait Paul Valéry (écrivain et poète français, NDLR).
 
BM : Vous utilisez la création artistique pour soutenir des associations et financer des projets de sauvegarde de la planète. Vous pouvez nous en dire plus ?
OC : Faire un titre n’est pas suffisant pour soutenir une association financièrement. En revanche, mettre en lumière une association avec un titre ou des artistes permet de lever beaucoup plus facilement des fonds. La relation entre des personnalités publiques et des influenceurs, à travers l’art et notamment la musique, permet de créer des récits « transformatifs », c’est-à-dire qui vont toucher les gens et ainsi donner envie de soutenir des causes, c’est aussi simple que ça. Nous collaborons actuellement avec l’ONG Sea Shepherd France fondée par Paul Watson et Lamya Essemlali, à travers We Are The Ocean, avec un concept, et un titre, sur l’éveil des consciences avec des sons du vivant qui sortira au moment de la troisième conférence des Nations Unies sur les océans (UNOC). L’idée, comme toujours, est d’utiliser les règles de l’entertainment, du pouvoir de la musique et du son, pour engager. 30 jours avant, nous allons également lancer Ocean Mic, 1 titre chaque jour – le concept étant de faire rapper des artistes sur des bandes sons de baleines ou autres animaux marins. Le gagnant sera distribué par Mangroove Music

« Écouter moins mais écouter mieux (de musique) pour réduire notre empreinte écologique »

 
BM : Le streaming et le numérique sont souvent vus comme des alternatives « propres » au support physique. Mais ils ont aussi un impact écologique (serveurs, data…) Comment trouver un équilibre ?
OC : Avec Music Declares Emergency, dont je suis membre du conseil d’administration, nous travaillons sur une fresque de la musique, en partenariat avec une autre association, Music4Planet, qui traite de ce sujet. Quand on regarde le cycle de vie d’un artiste, il y a la communication avec les réseaux sociaux, la production, les valeurs avec comment on transmet un récit et enfin la mobilité avec les concerts et festivals. En milieu de chaîne, le gros de l’impact écologique est constitué des appareils (devices) avec lesquels les fans consomment la musique. Cette dernière étant considérée aujourd’hui comme un produit, il faut réussir à faire comprendre aux gens qu’il faut écouter moins mais écouter mieux. Nous sommes aujourd’hui prisonniers d’une normalisation de la pensée musicale, à cause des algorithmes, qui aboutit à ce que j’appelle l’obsolescence programmée de la musique. La durée de vie d’un titre, voire d’un artiste, est de plus en plus courte, ce qui ne sert pas du tout les petits labels qui passent énormément de temps à développer les artistes. Même si ce n’est pas l’air du temps, nous essayons de construire des histoires plus longues chez Mangroove Music. Il faudrait réussir à rendre la musique plus accessible dans le bon sens du terme car rien ne remplace la qualité. Créer quelque chose, au détriment de la qualité, et qui comporte des externalités négatives en défaveur de la planète, ce n’est quand même pas top.
 
BM : Justement quels modèles ou innovations pour rendre l’industrie musicale plus verte vous ont marqué récemment ?
OC : En Angleterre, le musée de l’UNESCO a créé un hashtag « nature » et a considéré que cette dernière possédait des droits d’auteur. C’est-à-dire que sur un album donné, tous les sons tagués « nature » permettent à l’UNESCO de récolter de l’argent pour des associations luttant en faveur de la préservation de la biodiversité. C’est hyper fûté et j’espère que cela pourra faire jurisprudence un jour, pourquoi pas avec une initiative de la Sacem en France, je lance un appel et je suis prêt à m’y investir !

« Un artiste a besoin de se concentrer sur son art pour faire ressortir le meilleur de lui-même »

 
BM : Comment imaginez-vous l’évolution de la musique et du rôle des artistes dans quelques années ?
OC : Où qu’il soit, le talent émerge toujours. Mais il y a une cristallisation de la concurrence qui fait que non seulement il faut être bon pour exister, mais il convient également d’être un artiste-entrepreneur pour sortir du lot. Ce n’est clairement pas compatible car un artiste a besoin de se concentrer sur son art pour faire ressortir le meilleur de lui-même. Cet espace de liberté propre à l’artiste, s’il est contraint par du matériel, je pense que cela crée un problème de qualité de la création et de saturation mentale.
 
BM : Et l’intelligence artificielle dans tout ça ?
OC : Partir du principe que l’industrie musicale se régulera toute seule sur la question de l’intelligence artificielle me fait doucement rire, mais rire jaune. Et désolé de plomber l’ambiance mais je pense qu’il est déjà trop tard car l’IA est déjà prépondérante dans notre secteur. D’un point de vue économique, la dernière variable d’ajustement de l’industrie, c’est l’artiste, alors que c’est l’élément central. Et aujourd’hui nous avons l’IA qui arrive en prime et qui va être capable de faire des hits, ça va être de plus en plus compliqués pour les jeunes talents d’émerger. Heureusement, il y a des discussions au plan politique et systémique. La Sacem s’est emparé de ce sujet très important. Et nous avons aussi des startups tricolores comme IRCAM AMPLIFY qui font des outils pour repérer l’IA dans la création, notamment quand elle s’inspire d’artistes du répertoire. À suivre…
 
Olivier Covo est à retrouver sur le plateau Big média lors de Jour E, le 2 avril 2025 à Lille
 

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