Comment décarboner sa flotte de véhicules d’entreprise ?

Le 22/10/2025
7 min

Réduire l’empreinte carbone des flottes d’entreprise n’est plus une option pour de nombreuses organisations. C’est un défi stratégique. Coût de la transition, choix technologiques, adhésion des équipes… Les défis restent nombreux. Retour sur une conférence tenue dans la Bulle Verte de BIG 2025 qui a réuni experts et acteurs de terrain pour partager solutions concrètes et retours d’expérience.

“Décarboner sa flotte, c’est tout simple : c’est réduire les émissions de CO₂ des véhicules utilitaires et commerciaux”, résume sobrement Vincent Schachter en préambule. Mais cette simplicité apparente cache une réalité bien plus complexe. C’est précisément pour en débattre qu’une conférence s’est tenue le 23 septembre dernier, dans la Bulle Verte de BIG 2025 à l’AccorArena. Animée par Marine Barré, responsable des équipes conseil et climat pour l’Île-de-France chez Bpifrance, elle réunissait Philippe Crassous (Sepur), Vincent Schachter (Pelikan Mobility) et Julie Lamy (CCI Paris Île-de-France) autour d’une question centrale : comment franchir les virages financiers, technologiques et organisationnels de la décarbonation des flottes d’entreprise ?

> Retrouvez le replay de ce panel Bpifrance lors de BIG2025 

Des freins financiers et organisationnels

L’enjeu est d’importance. Les véhicules utilitaires représentent en Europe près de 100 milliards d’euros d’investissements annuels – l’équivalent du budget du Portugal – et pourtant, leur électrification accuse un retard considérable. Deux obstacles majeurs semblent freiner cette transition : le coût perçu et la crainte de perturber le bon fonctionnement de l’activité. “Les entreprises ne vont pas vers l’électrique parce qu’elles pensent que ça coûte trop cher et que ça ne s’intègre pas bien dans leurs opérations”, explique le dirigeant de Pelikan Mobility. Cette société, membre de la communauté du Coq Vert de Bpifrance, se revendique comme un “smart leaser.” Dans les faits, elle propose de la location longue durée de véhicules utilitaires électriques, “avec des solutions de financement qui sont nativement adaptées pour l’électrique, différentes des solutions de financement classiques, et avec une plus-value Tech, c’est-à-dire du logiciel qui permet d’adapter le parc aux opérations de la flotte”, vante le cofondateur et CEO de la société.

Il a constaté que le problème ne vient pas tant du coût d’achat des véhicules électriques que des modèles de location inadaptés. Vincent Schachter pointe ainsi du doigt un système qui pénalise l’électrique. Les contrats de location classiques sont des copier-coller des contrats pour véhicules thermiques. “Sur quatre ans, on fait payer 60 à 70 % de la valeur du véhicule aux premiers utilisateurs, alors que l’électrique dure plus longtemps et coûte moins cher à l’usage”, remarque-t-il. La solution ? Des contrats de leasing plus longs (8 à 10 ans) qui s’alignent sur la durée de vie réelle des véhicules électriques et intègrent la gestion du risque batterie. Julie Lamy, du Pôle financement de la CCI Paris Île-de-France, rappelle de son côté l’existence de dispositifs d’accompagnement pour amortir l’investissement : “Nous proposons un diagnostic mobilité réalisé avec la région Île-de-France sur trois jours, qui permet d’auditer les pratiques et de donner des préconisations, accompagnées de solutions de financement.”

 

Sepur, pionnier de la décarbonation

L’entreprise Sepur, également membre de la communauté du Coq Vert, est un acteur majeur de la collecte de déchets ménagers qui déploie 2 700 véhicules en service quotidien dans 32 départements dans l’Hexagone. L’entité a lancé sa démarche de décarbonation dès 2014. “On ne peut pas se positionner comme acteur de l’environnement et brûler 8 millions de litres de pétrole”, reconnaît au micro Philippe Crassous, qui résume ainsi l’objectif qui l’anime : En 2025, nous voulons faire tourner notre flotte sans une goutte de pétrole. Un message clair, compris par tous les collaborateurs et partenaires. Aujourd’hui, 85 % de la flotte tourne sans pétrole, grâce à une diversité de solutions : électrique pour les véhicules légers, biogaz et bio-GNV pour certains poids lourds en zone urbaine, biocarburant pour les zones rurales.

Un tel changement de paradigme doit néanmoins s’accompagner d’une vision long terme pour porter ses fruits, insiste Philippe Crassous : “Quand on veut décarboner sa flotte, il faut regarder à horizon dix ans. Si on raisonne juste à un ou deux ans, la fiscalité peut nous faire changer de direction alors que l’on vient à peine d’installer les infrastructures.” Contrairement aux idées reçues, l’adhésion des conducteurs en interne ne pose pas de difficulté majeure. Chez Sepur, on assure que les chauffeurs de poids lourds se sont sentis valorisés et ont adhéré à cette nouvelle vision. Recevoir un véhicule électrique valant le double d’un camion thermique – le prix d’un petit appartement – crée une fierté immédiate. Paradoxalement, c’est auprès des cadres que la résistance s’est avérée plus forte. Pour ce personnel à part, Sepur a progressé par étapes : hybride (pas de prise, autonomie électrique courte), puis hybride rechargeable (se branche, vraie autonomie électrique), avant le passage au tout électrique il y a trois ans. Aujourd’hui, tous les véhicules légers de l’entreprise sont électriques, impulsion donnée par le haut de la hiérarchie.

 

Objectiver les usages grâce à la technologie

Vincent Schachter identifie un problème structurel dans les grandes entreprises : la séparation entre ceux qui gèrent le parc (achats, contrats) et ceux qui utilisent les véhicules (directions opérationnelles). “Ces deux parties ne se parlent pas : on ne sait pas ce que font les véhicules d’un côté, et de l’autre, on ne sait pas combien ils coûtent.” La technologie permet de casser ces cloisons en collectant des données des deux côtés. Résultat : beaucoup d’idées reçues tombent grâce à la data. Cette objectivation change la donne : “Certaines entreprises pensent pouvoir électrifier 5 % de leur flotte, et on leur démontre que pour un coût équivalent, elles peuvent atteindre 20, 30, voire 40 %, sans perturber les opérations”, révèle le cofondateur de Pelikan Mobility.

Reste que l’objectif de décarbonation ne se limite pas au seul véhicule. Elle implique une réflexion globale sur l’infrastructure : bornes de recharge, stations de bio-GNV, production d’énergie renouvelable. Sepur a par exemple dû développer son propre réseau de recharge, inexistant en 2014 pour les véhicules légers et quasi-absent aujourd’hui encore pour les poids lourds. L’entreprise va même plus loin, en installant des ombrières photovoltaïques sur ses parkings pour produire sa propre électricité, avec un objectif pour 2030 : 100 % d’énergie renouvelable. La gestion intelligente de la recharge devient alors un enjeu majeur. “Il faut piloter la recharge en heures creuses, charger le juste nécessaire, souligne Philippe Crassous. Sinon le véhicule charge en heure pleine dès que le collaborateur arrive, alors que l’on pourrait décaler et être plus efficient.” La route vers la décarbonation compte de nombreux virages, mais ceux qui les négocient dès aujourd’hui seront les mieux placés pour conduire le changement.

 

Baptiste Roux Dit Riche

Rédacteur et animateur spécialisé, Baptiste Roux Dit Riche conçoit des contenus sur la ville et ses transitions pour différents médias et organisations. Depuis 2023, il anime le podcast Baptiste pose des questions, un espace d’échange où il explore, avec ses invités, des solutions concrètes pour des villes plus résilientes, inclusives et heureuses.

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