Faire de la transition un moteur de compétitivité
La crise sanitaire avait suscité un intérêt pour des modèles économiques plus résilients et avait mis sur le devant de la scène un certain nombre d’enjeux environnementaux. Cependant, depuis plusieurs mois maintenant, nous assistons à un revirement qui semble être un recul par rapport aux engagements pris dans l’Accord de Paris. Ce repli peut être motivé par des facteurs à court terme tels que l’inflation, les tensions géopolitiques et l’impact des technologies comme l’intelligence artificielle.
Il est alors légitime de se demander : comment faire face à ce contexte incertain et momentanément défavorable à la transition écologique et énergétique pour continuer à engager les entreprises ?
Cet article est le premier d’une série de 6 articles dans lesquels nous allons chercher à répondre à cette question de manière argumentée et illustrée par des exemples de sociétés qui ont vu dans la transition un levier stratégique pour leur développement.
Le premier message à transmettre est le suivant : la transition écologique et énergétique est une nécessité pour rester compétitif voire accroitre sa compétitivité. Le rapport pour la Commission européenne de Draghi [1] le montre bien : la transition bas-carbone doit être articulée avec l’enjeu de performance économique, plus exactement le rapport recommande de faire de la transition un moteur de compétitivité. C’est un impératif stratégique pour les entreprises, tant sur le plan de la sécurité d’approvisionnement et de production que du positionnement concurrentiel.
Dans la tribune collective, “Entreprises et transition écologique : « Quand certains envisagent le renoncement, nous maintenons nos engagements »”, signés par 40 dirigeants de grandes entreprises s’expriment : “dans cette nouvelle économie mondiale où leur maîtrise devient un enjeu majeur, l’excellence environnementale n’est plus une contrainte mais un avantage compétitif clé pour notre futur”[1].
Une réduction des coûts jusqu’à une opportunité d’investissement sur le moyen et long terme.
A court terme (coûts énergétiques, de consommation d’eau, de gestion des déchets et de mobilité durable)
Il s’agit ici d’économiser (et cela vaut pour tous les acteurs et tous les projets), en utilisant moins de matériaux, grâce l’éco-conception de ses produits ou la valorisation de ses déchets, et moins d’énergie grâce à la sobriété et l’efficacité énergétique.
En effet, l’éco-conception peut être considérée comme un moyen de gagner de la valeur et réduire ses coûts sur le cycle de vie d’un produit, de sa conception à sa fin de vie. Elle permet d’évaluer l’utilisation des matières et d’identifier de possibles réductions mais également de revoir ses points d’approvisionnement. A titre d’exemple, il est aujourd’hui, et surtout demain, avantageux de se fournir en matières premières en Europe afin d’éviter d’être soumis aux tarifs douaniers. Enfin, concevoir un produit mono-matière évite l’assemblage en masse et favorise ensuite le recyclage et la gestion de fin de vie des produits, et permet d’en réduire les coûts de traitement.
Bpifrance propose aux entreprises le Diag Eco-conception, un diagnostic permettant de réaliser une évaluation environnementale basée sur l’Analyse du Cycle de Vie du produit, service ou procédé concerné.
Pour ce qui est de l’optimisation énergétique, rappelons que dans le domaine du bâtiment par exemple, un pilotage fin de la consommation permet encore de faire des économies d’énergie de l’ordre de 15 à 30%.
Une approche par coûts totaux avec une projection à moyen / long terme.
Si certains retours sur investissements ne permettent pas toujours de voir l’efficacité opérationnelle à court terme, élargissons le périmètre de réflexion dans deux directions : la totalité des coûts et le temps.
Mélusine Boon-Falleur, Chercheuse et Professeure au Centre de Recherche sur les Inégalités Sociales de Sciences Po Paris, explique qu’il faut rendre plus visible les gains sur le long terme ou les coûts immédiats de ne pas s’engager, pour permettre aux entrepreneurs et aux individus de passer à l’action. En effet, elle part du constat de la science cognitive qui montre que plus les bénéfices sont lointains dans le temps alors moins un individu est motivé pour s’engager car ce dernier va préférer des choses plus immédiates (qui sont rarement les choses les plus écologiques)[2].
L’entreprise Eyco, start-up industrielle qui développe des microcircuits intelligents, témoigne sur les économies qu’elle a pu faire en devenant éco-responsable. Jean-Pierre Delesse, directeur commercial, explique : « Je n’ai pas rencontré un seul client qui m’ait dit « je suis prêt à payer un premium, un prix plus cher, parce que j’ai un fournisseur qui est éco-responsable ». Et comme on est sur un marché ultra concurrentiel on n’a pas le choix, il faut être compétitif sinon on n’existe pas. L’équation a été pour nous de dire : en étant éco-responsable, quelles économies on peut faire ? On économise de l’eau, on recycle des matériaux, on ne paye pas de taxe sur nos rejets. Il y a toute une équation économique qui doit être réfléchie au départ pour dire : on doit rester économiquement performant, des investissements sont nécessaires pour respecter cet environnement. Ces investissements vont être amortis sur 3 à 5 ans. On est compétitifs sur cette période et on sait qu’on sera encore plus compétitif une fois que les équipements seront amortis »[3].
La start-up Vestack, elle, conçoit des bâtiments modulaires à base de matériaux biosourcés. Jean-Christophe Pierron, une de ses cofondateurs, constate que les réductions de coût engendrées par un comportement éco-responsable peuvent mener à des opportunités de marges mais également à une possibilité de financement de la transition de son entreprise pour in fine être davantage compétitif à horizon 5 ou 10 ans. Il confirme : « C’est un élément clé que de se dire « Est-ce que je réfléchis à 3 ans, à 5 ans ou à 10 ans. A 3 ans, il y a très peu d’investissements qui sont bons pour la transition et économiquement rentables. A 5 ans ou à 10 ans, il commence vraiment à y avoir des opportunités à saisir » [4].
Ces deux témoignages sont issus du webinaire « Et si la transition écologique rendait votre industrie plus compétitive ? » organisé par le Coq Vert et la French Fab de Bpifrance.
Une opportunité business en s’ouvrant à de nouveaux marchés
Les donneurs d’ordre choisissent de plus en plus des partenaires et sous-traitants qui leur permettront d’atteindre leurs objectifs en matière de décarbonation. C’est un nouveau critère de négociation pour les acheteurs : 87% des entreprises interrogées (sur un panel de 500) incluent un critère environnemental dans leur appel d’offres[5]. Ne pas s’engager dans une démarche de transition peut donc conduire à une perte de business dans un futur proche.
Les grands donneurs d’ordre sont de plus en plus soucieux de se décarboner, essentiellement pour des raisons réglementaires, de risques et de compétitivité. Pour ce faire, ces derniers doivent impérativement décarboner leur scope 3. Comme l’explique Gaël Lorret, Directeur Transformation et RSE des achats chez Orange : 80% des émissions de l’entreprise reposent sur son scope 3. Ce dernier correspond aux émissions de gaz à effet de serre (GES) indirectes qui échappent au contrôle direct de l’entreprise, englobant souvent les activités en amont et en aval de la chaîne de valeur : produits et services achetés, transport et logistique, déchets, etc. Sur ces 10 milliards d’euros d’achats par an auprès de 10 000 fournisseurs différents, Orange souhaite embarquer ses fournisseurs dans une relation partenariale pour rendre ses achats les plus responsables possibles et atteindre ses objectifs de Net Zero Carbone en 2040. Par ailleurs, Orange et SNCF Groupe ont instauré (depuis 2 ans et demi pour la SNCF), des notes carbones dans leurs appels d’offres, indispensable pour l’évaluation des dossiers et permettant donc de remporter le contrat. L’engagement dans la transition énergétique et écologique parait donc nécessaire pour tous les fournisseurs des grands donneurs d’ordre afin d’assurer leur compétitivité, leur relation partenariale et pour ne pas perdre de marchés[6].
Un modèle économique tourné vers la transition ou la solution pour se différencier
L’engagement dans la transition écologique et énergétique des entreprises, le choix d’un nouveau modèle économique fondé sur la durabilité ou bien l’innovation pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique favorisent une différenciation sur le marché, un accès à de nouvelles opportunités commerciales et un renfort de la position concurrentielle.
Cette démarche d’innovation peut conduire à la création de produits ou services écologiques novateurs et attractifs pour des consommateurs de plus en plus sensibles aux questions environnementales.
Par exemple, le développement de nouveaux matériaux recyclables a pu le faire l’entreprise Carayon qui a créé un nouveau matériau type composite à partir des résidus de son activité de menuiserie dans le but de réaliser d’autres menuiseries[7].
La conception d’emballages réduisant l’empreinte carbone, l’offre de services de réparation, de réutilisation ou de location, ou encore un modèle économique reposant sur la collaboration (partage des biens et services entre les usagers) sont autant de pistes d’innovation qui peuvent démarquer une entreprise de ses concurrents.
On note d’ailleurs de plus en plus d’offreurs de solutions proposant des biens (souvent des technologies) ou services permettant aux consommateurs (B2B et B2C) de réduire leur empreinte carbone, de s’adapter au changement climatique ou de diminuer leur impact sur la biodiversité. Ces entreprises peuvent être issues des domaines des énergies renouvelables, de l’éco-circularité, de la mobilité propre, de la construction durable ou encore de l’industrie verte.
Bpifrance propose l’Accélérateur Economie circulaire, un programme d’accompagnement destiné aux dirigeants ayant engagé une réflexion stratégique sur l’économie circulaire et souhaitant maîtriser les différents leviers de l’économie circulaire et les modèles d’affaires associés.
Date de lancement : 25 novembre 2025
L’entreprise offreuse de solution Too Good To Go a développé “un système qui permet de multiplier par trois le pouvoir d’achat des consommateurs”. Le vendeur aussi est gagnant puisqu’en plus de lui permettre de réduire son gaspillage, il gagne en visibilité et en sympathie auprès des clients. Lucie Bash, présidente de l’entreprise, explique : “l’entreprise se finance grâce à une commission d’un euro par panier repas distribué. L’intérêt de ce système c’est que notre développement est forcément aligné avec notre raison d’être. Notre chiffre d’affaires [30 millions] est directement corrélé à la lutte contre le gaspillage alimentaire”[8].
L’exemple de TSL Outdoor, membre de la communauté du Coq Vert, témoigne de la capacité d’une entreprise à se différencier par son engagement dans la transition écologique. Leader mondial de la raquette à neige, l’entreprise, de 20 millions de chiffre d’affaires, produit et commercialise également d’autres équipements de montagne. Le plus grand défi de l’entreprise a été de gérer le cycle de vie de ses raquettes conçues en plastique (qui reste indispensable aujourd’hui). Elle a répondu à ce défi en utilisant tous les leviers possibles pour réduire l’impact du cycle de vie du produit : design, fabrication, transport. Après un travail de réflexion avec la société de recyclage Broplast, le produit est aujourd’hui éco-conçu, fabriqué dans des usines locales, et recyclable pour en faire profiter toute la filière.
MORA Group, une société d’injection de pièces plastiques explique que leur engagement dans la transition énergétique s’est retranscrit par l’électrification de leur procédés industriels. Un des facteurs d’engagement a été l’offre client : “nous pouvons désormais offrir à nos clients plus de précision et une adaptabilité plus grande en termes de process et donc une meilleure maitrise sur les solutions que nous proposons” explique Patrice Blanchard, le directeur industriel du groupe[9].
Le Prêt vert de Bpifrance a pour objectif d’encourager les TPE, PME et ETI à engager des projets de transition écologique et énergétique et de favoriser la croissance des entreprises positionnées sur la chaîne de valeur énergétique et environnementale : végétalisation des bâtiments, mise en place système de location de production/récupération des produits en fin de vie, équipements et accessoires modernes permettant d’économiser l’eau, variateur de vitesse sur les moteurs (procédés industriels). Pour les entreprises industrielles, il existe un prêt industrie verte.
Une valorisation de la marque-employeur
La nécessité d’engager son entreprise dans une démarche environnementale n’est plus uniquement un argument “de plus”, mais devient un atout essentiel dans le recrutement et la rétention des talents. 78% des salariés choisiraient, à offres équivalentes, de rejoindre une entreprise engagée pour la transition écologique[10]. L’environnement est la deuxième préoccupation principale des salariés, et même la première pour les plus jeunes collaborateurs de moins de 35 ans[11].
Camille, alternante technicienne de maintenance chez A2C matériaux, entreprise du BTP qui a décidé d’installer des bassines de récupération des eaux de pluies utilisés pour leur activité, s’exprime sur les valeurs de son entreprise : « voir une entreprise qui a engendré tellement de modifications, non pas dû à l’augmentation du prix de l’eau (car ce n’est pas une ressource très chère) mais plutôt liées à des valeurs axées sur l’écologie, c’est une réelle une fierté de travailler dans une société comme ça »[12].
De plus, l’engagement dans une démarche environnementale peut conduire plus largement au gain de productivité des salariés, à leur fidélisation et leur implication dans l’entreprise. C’est par exemple le cas de l’entreprise Elis, spécialisée dans la location-entretien d’articles textiles et d’hygiène, qui a déployé une démarche de réduction continue de ses consommations d’eau. Outre la réduction des factures d’eau, l’entreprise observe une attractivité facilitant l’engagement des équipes et le recrutement de collaborateurs de plus en plus sensibles aux questions environnementales[13].
Aujourd’hui, comme le révèlent le Boston Consulting Group et le World Economic Forum « trop peu d’entreprises exploitent les avantages financiers offerts par la décarbonation », alors que l’enquête indique que plusieurs entreprises bénéficient déjà de « gains substantiels » grâce à la décarbonation, tels que des gains financiers significatifs, une meilleure réputation et une efficacité opérationnelle accrue[14].
La transition écologique et énergétique, loin d’être un frein, est une véritable opportunité pour les entreprises. Elle permet de réduire les coûts, d’accéder à de nouveaux marchés, de se différencier et de renforcer la marque employeur. Les entreprises qui s’engagent dans cette démarche, comme Eyco ou Vestack, en tirent des bénéfices économiques et une compétitivité accrue. C’est une voie stratégique pour rester performant et attractif à long terme.
Dans le deuxième article de cette série nous verrons pourquoi souveraineté et décarbonation constituent un seul et même défi.
[1] Entreprises et transition écologique : « Quand certains envisagent le renoncement, nous maintenons nos engagements ». Les Echos, 5 juin 2025. Lien vers l’article
[2] Bpifrance. Où on lève les freins pour accélérer la transition – Scène E – Jour E 2025. YouTube, 3 avril 2025.
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[3] Bpifrance. La French Fab x Coq Vert « Et si la transition écologique rendait votre industrie plus compétitive ? » YouTube, 5 juin 2025.
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[4] Bpifrance. La French Fab x Coq Vert « Et si la transition écologique rendait votre industrie plus compétitive ? ». YouTube, 5 juin 2025. Voir la vidéo
[5] Affectio Mutandi and Ecovadis. Etude sur les clauses RSE dans les contrats entre acheteurs et fournisseurs. Avril 2018.
[6] Bpifrance. Grands donneurs d’ordre et PME : quelles stratégies pour accélérer vos transitions ? – JOUR E 2025. YouTube. 3 avril 2025. Voir la vidéo
[7] Bpifrance. Un pas de plus : la réutilisation à plusieurs niveaux avec Carayon. YouTube. 29 juin 2023. Voir la vidéo
[8] Big Media Bpifrance. Lucie Basch (Too Good To Go) : « Notre chiffre d’affaires est directement corrélé à la lutte contre le gaspillage alimentaire ». Lien vers l’article
[9] Bpifrance. Un pas de plus : électrifier 100% d’un site industriel de production chez MORA Group. YouTube. 29 avril 2025. Voir la vidéo
[10] CSA for LinkedIn and ADEME. Les salariés et la transition écologique dans les entreprises. Juillet 2021. Lien vers l’article
[11] CSA for LinkedIn and ADEME. Les salariés et la transition écologique dans les entreprises. Juillet 2021. Lien vers l’article
[12] Bpifrance. Un pas de plus : Installation de bassines de récupération d’eau de pluie avec A2C. YouTube. 6 mars 2024 Voir la vidéo
[13] ADEME. En entreprise, comment s’engager dans un parcours d’adaptation au changement climatique ? Fev. 2024, p. 15.
[14] World Economic Forum and Boston Consulting Group. The Cost of Inaction: A CEO Guide to Navigating Climate Risk. Dec. 2024.
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